C’est un article du magasin Elle

8-12 ans est l’âge de l’entre-deux qui laisse souvent les parents perplexes. Entretien avec Cécile Brunet et Anne-Cécile Sarfati, auteurs de « Petits Tracas et Gros Soucis de 8 à 12 ans » (éd. Albin Michel). 

QU’EST-CE QUI CARACTÉRISE CETTE TRANCHE D’ÂGE ?

La première caractéristique de cette tranche d’âge est d’être un entre-deux. Ce ne sont plus des petits enfants dans la toute puissance enfantine, croyant aux grands mythes de l’enfance, mais ce ne sont pas non plus encore des adolescents, comme on voudrait nous le faire croire.

Qui nous pousse à croire qu’ils sont déjà des adolescents ?  

Tout ! La société dans son ensemble ! Le discours ambiant nous dit qu’ « il n’y a plus d’enfants », comme si l’adolescence commençait à cet âge, comme si l’enfance raccourcissait d’année en année. Les marques, la publicité, ayant pris conscience qu’il y avait là un marché très porteur, s’adresse à eux comme s’ils étaient des adolescents. Et il est vrai aussi que la « culture ado » fait irruption dans leur monde et les pousse à grandir plus vire : on le voit bien avec la téléréalité, les jeux vidéo, la BD et les mots salaces de Titeuf – aussi formidable soit-il-, les journaux, leur envie d’imiter les grands avec leurs boums, leur vocabulaire de plus en plus cru, mais aussi « le grand cousin » qui fait le malin et qui leur montre des images pornos sur l’ordinateur !

Ils en sont où, au juste, sur le plan du développement ?  

Ils ne sont pas pubères, leur sexualité est en sommeil : ce n’est pas pour rien que les psychanalystes appellent cette période de la vie de l’enfant « la phase de latence ». Sur le plan intellectuel, en revanche, ils commencent à accéder à un raisonnement qui leur est propre et au discernement. Il sont logiques, ils apprennent des choses hors du milieu familial et sont capables de critiquer les parents et de prendre leurs distances avec eux. Ils commencent à découvrir l’autonomie sans pour autant être dans le conflit, dans le défi ou le refus de la communication, comme à l’adolescence. C’est l’âge où ils développent leur intimité, découvrent la pudeur et font l’expérience du « ridicule » ? C’est, enfin et surtout, l’âge des « premières fois » : première boum, premier trajet tout seul, première fois où il reste seul le soir, première confrontation au collège !

CELA SIGNIFIE QUOI POUR LES PARENTS ?

Qu’ils doivent trouver la bonne distance entre renoncer à tout contrôler et tout lâcher. Entre l’enfance, où les parents exercent une emprise totale, et l’adolescence où tout paraît leur échapper, il y a cette étape délicate où les parents doivent apprendre à lâcher progressivement la bride tout en accompagnant leur enfant. Par exemple, lui confier de l’argent de poche sans pour autant lui confier son budget vêtement, lui laisser prendre le bus pour aller au collège, mais pas le laisser tout seul en train pour traverser la France. Par exemple, pour ce qui concerne le collège, il s’agira de l’aider en lui apprenant à gérer son temps, sans pour autant le faire à sa place.

C’est donc un âge qui exige temps et disponibilité de la part des parents ?  

Bien sûr, et c’est bien là où est le piège de cet âge : les parents croient que leur enfant, en devenant autonome, aura moins besoin d’eux, donc qu’ils vont pouvoir souffler un peu. Ceux qui travaillent beaucoup, qui manquent cruellement de temps s’engouffrent dans cette illusion. En fait, c’est tout le contraire qui se passe : apprendre l’autonomie à son enfant, ça prend du temps. Il faut être à ses côtés quand il prend le bus pour la première fois, voir s’il est prêt dans sa tête, faire les choses progressivement. Il faut bien comprendre que la préadolescence est le Canada-Dry de l’adolescence : les 8/12 ans ressemblent à des ados, mais ils ne sont pas des ados ! Cet âge signifie aussi, pour les parents, qu’ils ne vont plus pouvoir faire l’économie d’un vrai dialogue avec leurs enfants, que le père et la mère vont devoir être plus que jamais cohérent entre eux dans les réponses qu’ils donnent et l’énoncé des interdits. Enfin, c’est le moment ou jamais de transmettre ses propres valeurs familiales, ne pas avoir peur de les revendiquer, même au risque d’ « être jugés » par ses enfants, voire de passer pour des ringards.

ENCORE FAUT-IL ÊTRE CLAIR SOI-MÊME !

   Il faut, en effet, être au clair avec soi-même, mais surtout être conscient que l’enfant doit rester à sa place d’enfant, c’est-à-dire ne pas prendre toute la place dans la famille. Le problème est que, aujourd’hui, le lien familial passe par l’enfant, le met au centre de la famille et en fait le petit roi. Ce qui est dommageable pour tout le monde.          

Est-ce que cela suppose aussi de dire à l’enfant qu’il n’est pas encore un adolescent ?        

Et comment ! Il ne faut pas avoir peur de le lui dire et de faire bien la différence à ses yeux entre l’être et le paraître : « Ce n’est pas parce que j’accepte que tu portes tel vêtement que je te prends pour un adolescent. » On ne peut pas résister à tout, prendre la responsabilité qu’il soit exclu du groupe en lui imposant de porter un loden bleu marine alors que tous les autres sont en jean ! En revanche, on peut tout à fait lui dire qu’on n’est pas dupe et négocier avec lui. Votre fille veut porter une minijupe ? D’accord, mais avec un collant et sûrement pas avec le string qui passe au-dessus, c’est-à-dire qu’on ne lui laisse pas porter la panoplie de la bombe sexuelle qui veut attirer un regard qu’elle en pourra pas soutenir !   

MAIS VOUS NE CROYEZ PAS, TOUT DE MÊME, QU’AVEC UN TEL GUIDE, VOUS RÉDUISEZ L’ÉDUCATION À DE SIMPLES RECETTES ?     

Des recettes ? Non, pas plus que des leçons de morale ou des solutions miracles. Nous savons bien que chaque situation est particulière. Nous nous contentons de proposer des idées fondées sur l’expérience et maintes fois éprouvées, des pistes de réflexion, des possibilités de réponses. Ce sera ensuite à chaque parent d’inventer sa manière de dire, sa manière de faire. Nous avons écrit le livre que nous-mêmes, en tant que mères, aurions aimé pouvoir lire pour nous aider.